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samedi 31 août 2013

Aucun de nous ne reviendra (Auschwitz et après, t. 1), Charlotte Delbo

Ces trois bouquins de Charlotte Delbo me sont tombés dessus à la vitesse de l’obscurité.
Comme l’instant qui suit l’annonce du décès d’un proche, quand le temps s’arrête et que le vertige te tire vers le bas, quand ton corps et ton esprit ne sont plus qu’impuissance, quand ton coeur devient un puits de douleur froide qui déchire silencieusement l'intérieur de ta poitrine pour ne laisser qu’un vide inexplicable, quand le manque s’installe définitivement en toi...


Auschwitz et après
Ces trois livres sont beaux et effroyables.
Ces trois livres sont écrasants.
Ces trois livres vont te taillader le coeur...


Oui, ils sont beaux car Charlotte Delbo possède une plume… et quelle plume ! 

Son écriture est presque pudique et dans tous les cas elle est simple, claire et précise (ô combien, hélas !), les chapitres sont entre-tissés de poêmes noirs et fulgurants.


Oui, ils sont effroyables car ils illustrent la négation de l’autre, de son prochain…  de l’humain.


Oui, ils te laisseront écrasé, épuisé, exterminé.
Il est des livres qu’il ne faut pas ouvrir si comme moi tu possèdes trop d’imagination ; ils sont mortels, ils t'entraînent trop loin sur la pente de l’inhumanité.


Vous les dieux qui n’existez pas, oui, vous qui n’êtes que le reflet si nécessaire car tant désiré de nos âmes, vous les dieux du passé et du futur, pleurez sur nous, pauvres humains...


Et vous, les hommes que l’ignorance rend si fier, vous, les hommes si plein de vide et d’insignifiance, osez cette prière :
...


Ô vous qui savez
saviez-vous que la faim fait briller les yeux que
 la soif les ternit
Ô vous qui savez
saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte
et rester sans larmes
Ô vous qui savez
saviez-vous que le matin on veut mourir
que le soir on a peur
Ô vous qui savez
saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année
une minute plus qu’une vie
Ô vous qui savez
saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables
que les yeux
les nerfs plus durs que les os
le coeur plus solide que l’acier
Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas
qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante
qu’un mot pour l’angoisse
Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite
l’horreur pas de frontière
Le saviez-vous
Vous qui savez.


(Aucun de nous ne reviendra, Charlotte Delbo, page 21)

Charlotte Delbo (1942)


Un cadavre. L’oeil gauche mangé par un rat.
L’autre oeil ouvert avec sa frange de cils.


Essayez de regarder. Essayez pour voir.

jeudi 29 août 2013

Même pas mort, Rois du monde (première branche), Jean-Philippe Jaworski

Entention, chef-d’oeuvre ! 

La BD avait son Hugo Pratt, la littérature possède désormais son Jaworski.

Ouais, mon-ami-farang, ne cherche plus l’aventure dans le fatras des bouquins de la rentrée 2013 car si tu as cette petite merveille en pogne, tu es le roi du monde (première branche) ! Si fait moussu ! 
Avec ce “Même pas mort” le Jaworskitorix change de carrure, il délaisse la pourpre cardinale qu’il s’était octroyée au sein du petit monde des zoteurs de “fantasy” française (avec ses Janua Vera  et Gagner la guerre) pour poser son auguste séant sur le trône de Saint Pierre ; ouais m’sieur, habemus papam (made in Frankreich), désormais son surblase c’est Jean-Phi Ier et Messieurs les Hommes ôtent leur galurin et lui baisent la pogne quand ils le croisent, si fait !

Quand je pense qu’il y a de jeunes cons boutonneux qui ont Sa Sainteté comme prof de français, ben, ça troue mon fion de vieux con…


Déjà, en tant qu’objet, ce livre est une petite merveille. Je ne pensais pas qu’il existât encore d’éditeurs assez trapus pour proposer des artefacts de cette qualité pour vingt et trois balles (hé, c’est le prix d’un Ailleurs et Demain qui se délite habituellement en moins de cinq piges, merde!). Le bouquin est réellement magnifique, c’est un livre de “garde”, un plaisir à manipuler, à respirer et bien sûr à savourer. Bravo et merci au troupeau bêlant et lyonnais du pâtre K. Dick. Vous êtes forts les gars et je ne regrette pas mes picaillons.


Quant au contenu de ce magnifique conteneur, il est hors de question que je t’en dévoile la moindre miette, malheureux. T’es pas fou, non ! Tu veux que mon ami D. (quarante et quelques piges, prostitué moyenâgeux) me retire sa parole ? Il ne l’a pas encore lu (je lui passe demain, tu vois le coup ?). En fait, je lui dois mon addiction à Jean-Phi Ier car c’est cézigue qui m’initia en me confiant les premiers bouquins de Sa Sainteté. Donc motus et couche bousue.


Ok, ok, je sais, vous êtes aux moins deux farang à lire mes conneries, donc, pour l’autre qui voudrait en savoir un peu plusse sur cette merveille, je vais faire un truc que je ne fais jamais, je vais te donner l’@ réticulaire d’un papillon dans la lune qui t’espliquera tout dans son superbe blogue. En fait, si comme moi t’y connaissais fifre en celtitude, là, tu vas voir qu’il est rudement bien venu son crobar à la gente damoiselle si tu veux bien capter la situasse topographique.
Bon, tu liras son commentaire ou pas (il est excellent, y a rien à rajouter), mais avoue que la carte proposée par cette noble papillonne est quasi indispensable si t’es un peu curieux (tu l’imprimes et ça fera un marque-ta-page sinon indispensable, du moins intéressant).
Encore merci à cette noble représentante des lépidoptères séléniques.



Voila, juste ceci, maintenant:




L’impuissance:
Si l’homme ne peut embrasser le monde, c’est parce que le monde fuit sous ces pas. Le monde est une mélopée infiniment morne et infiniment multiple, le monde est un chemin aux horizons sans cesse recomposés, le monde est un royaume taillé dans la matière même du rêve. C’est une merveille ; une merveille indifférente qui m’a appris la saveur de l’angoisse.
Le monde est un vertige.


La guerre:
Ils franchissaient un seuil : ils pénétraient dans un espace sacré, une géographie de violence et de mort.


Le voyage:
Nous nous sommes installés dans l’insouciance du voyage, dans sa durée propre, dans un espace ouvert entre les lieux.


Le savoir:
J’ai enfin compris une vérité essentielle, volatile, qui m’a échappé sitôt saisie.


L’émigration:
Je suis comme tout les déplacés : j’apprends le délice amer de la nostalgie.


J’arrête là sinon je vais inonder mes braies.


Jean-Philippe est mon pote et Denix est son prophète. Merci à vous deux.


Jean-Phi Ier





Je vous demande d’oser papillonner sur cette première branche...

mardi 27 août 2013

Marcel Pagnol, Oeuvres Complètes I, Théâtre

C’est le camarade Albert Cohen qui m’a donné cette insupportable envie de Pagnol et si tu n’arrives pas à comprendre pourquoi, c’est qu'on ne peut plus rien pour toi, farang-du-PSG.

Il y a trois tomes dans cette compile : "Théâtre", "Cinéma" et "Souvenirs et Romans".

Donc, il s’agira ici de lire ou relire six pièces de théâtre et deux réflexions (explorations ?) sur le rire et la critique :

Les marchands de gloire,
Jazz (phaéton),
Topaze,
Marius,
Fanny,
Judas,
Fabien,
Notes sur le rire,
Critique des critiques.


Le tout abondamment préfacé par sézigue.
Ouais, entention cependant, ce n’est pas pour les petits bras, hein ? C’est un gros calibre de plus de 1000 pages !
S'explique ainsi mon mutisme blogosphérique de quelques jours !

Bien, que dire de tout celà ? Si tu es aussi inculte que moi quant à tout ce qui touche au théâtre, Farang-de-l’OM, seules trois de ces pièces nous sont familières grâce aux films qui en furent tirés : Topaze, Marius, Fanny. Ceci dit, m’est avis que c’est presque normal, car les autres sont largement moins bonnes et ont carrément fait des fours à leur sortie ou n’ont pas tenu l’affiche bien longtemps. Ce n’est pas moi qui le dit mais Marcel lui-même car figure-toi qu’il a longuement préfacé chacune d’entre elles.

Perso, mon tiercé gagnant sera : 1) Fanny, 2) Marius, 3) Topaze.

Quoi qu’il en soit, quel bonheur ce fut de retrouver tout le petit peuple de la Canebière.
Té, peuchère, on s’est régalé !


Le rire et les pleurs, Pagnol c’est notre Janus ; la comédie dramatique dans toute sa puissance.


Marcel est un bon ami, depuis fort longtemps… et ce n’est pas fini.


Malheureux &
Pauvre petit

...
- Donne-le un peu ton pastisson.
- Vous me le pressez, le nez!
- Pauvre petit !
- Malheureux !
- Pauvre petit !
- Commerçant !
...
(Marius)

jeudi 22 août 2013

Les Valeureux, Albert Cohen

Voila, ch’t’avais averti, ce dernier Cohen gésissait sur mon burlif, sous une pile d’Eschyle, de Salter et autres London… tiens, y a un bio de Tocqueville aussi ; il m’attendait ce brave ouvrage, un vieil NRF de la Blanche tout rafistolé de 1969 (5729 ?) affuré sur l’incontournable market-place d’amazon et qui exigeait silencieusement d’être dégainé à la surprenante… avec des pincettes, il a l’air plus vieux que moi !
Fallait bien que je me rince la bouche une fois pour toute. Question Cohenneries, ces Valeureux sont un sommet ; tu peux pas test farang-antisémite ! Déjà, Solal et Mangeclous avaient donné le ton, puis Belle du Seigneur m’avait paru conclure cette Céphalonitite aiguë de la Société des Nations. Cela dit je savais qu’il me restait un désert de qualité dans ces Valeureux.

Oh ! C’était au-delà du désert de qualité, rassure-toi, c’est encore mieux que çà ! 

Je m’en relis des paragraphes entiers à mi-voix, pour mieux savourer la verve inépuisable de Cohen, pour le goûter encore et encore, pour déguster les jaillissements culinaires et judéo-existentialistes de Mangeclous, ou les fiertés larmoyantes du vénérable Saltiel… 
C’est incomparable. Ces valeureux sont réellement aimables et c’est pur bonheur que de voyager une dernière fois avec vous mes chers Saltiel, Salomon, Michaël, Mattathias et mon formidable Mangeclous.

Je vous aime, Ô vous les fils de la méditerranée et des oliveraies qui faseyent par vagues argentées sous la brise salée de Céphalonie, Ô vous les valeureux juifs universels et interprètes zélés de la religion du Livre, Ô vous qui en étiez en l’an 5695 en 1935 (!). 
Si fait, je vous aime pour votre humanité sous-tachée de défauts rémissibles, pour vos naïves fourberies et vos gentilles méchancetés.

Quel voyage épique nous fîtes-vous faire, chers aimés, au travers de toutes l’Europe de 1935 :
Rome, Paris, Marseille, Bruxelle, Londres… Vous n’épargnâtes aucunes capitales de vos bruyantes et exotiques tribulations (à tiens, y a pas Berlin !)… Vous fûtes mon miel pendant quelques délicieuses et internationales méga-secondes : merci à vous, fils des vents et de ce terrible dieu levantin qui est le votre.

Psst :   (PS à la Saltiel)
La dernière partie, l’interminable lettre de Mangeclous à la reine d’Angleterre est un sommet à jamais inégalable dans l’art épistolaire de l’autosatisfecit au dépend de la perfide Albion. Tout y passe, les mauvaises manières des bourgeois, des policemans, la politique étrangère, etc. Mais surtout une critique exacerbée de la mal-bouffe anglaise et nous découvrons en salivant  quelques dives recettes que Mangeclous suggère à la reine...
Si je me laissais aller, je t’en collerais des pages et des pages, mais sache que je suis raisonnable et que je ne le ferai pas…

Psst : 2
Bon, ok, alors juste un morceau du passage ou il déplore ce qui est servi à Londres :
(un fragment de la lettre à la reine d’Angleterre, donc)
… 
Cartes sur table, Madame, le pays qui fait de si bons breakfasts se déshonore par le reste de sa cuisine !
“ Pour l’amour du ciel, Majesté ! Dans Vos restaurants, j’ai assisté à des épisodes effrayants ! 
[...]
“ Et comme dessert, Madame, on m’apporta un petit cercueil de papier contenant une substance tremblante colorée en rouge, celle de mes voisins étant jaune, laquelle substance devait être de la gelée de pied de veau ou de la colle de poisson, bref de l’eau solide et tiède, surmontée d’une rondelle de banane, et comme goût, la saveur d’une potion contre la toux ! Et c’est ce que vous appelez un dessert, Majesté ? Allons, voyons !
“ Je ne suis que depuis quelques jours à Londres mais que n’ai-je vu ! Des pommes de terre bouillies et à peine écrasées avec un peu d’eau, dépourvues de beurre et de lait, et ils osent appeler cette infamie du doux nom de purée ! Pardon, Majesté, mais l’indignation m’étouffe, et je parlerai la tête sur l’échafaud ! Et vos omelettes sèches, se refusant à baver, vous rendez-vous compte, Chère Madame ? Et le mouton, ils le font bouillir, m’a assuré mon informateur de la synagogue en prêtant serment sur la tombe de sa mère !
...

Psst : 3
Merci Môssieur Albert Cohen… quel délice !


Brrr... flic, floc...



Je vous demande de vous forcer...





mardi 20 août 2013

Albert Cohen, Franck Médioni

Cette bio du camarade Bébert m’a valu une nuit blanche tellement je l’aime mon Cohen.

Alors, il faut que je fasse immédiatement mon mea culpa car je ne suis pas fier d’avoir dit pis que pendre du Solal dans les commentaires précédents. 
Pourquoi ? 
Pas’que le camarade Franck Médioni t’esplique tout au long de cette bio que Albert Cohen et Solal c’est bonnet blanc et blanc bonnet… putain ! J’ai l’air malin main’nant : j'adore Albert et je déteste Solal. À m’ment donné je vais virer schizo, non ?
En fait je déteste les gros machos, ils convoquent immanquablement le côté “féministe” qui afflige trop régulièrement le tropisme “mâle Alpha” que je me dois de posséder… Je n’aime pas les autres mâles, tout bêtement. Laissez mes femelles tranquilles, merde !

Tu vois farang-tire-au-cul, on ne devrait lire la bio que des gens que l’on déteste… y en a bien assez !

Qui plus outre, et pour faire bonne mesure, je me suis mis dans l’idée de regarder le seul film facilement accessible du gars Cohen : Mangeclous. Putain, quelle déception ! Pourquoi n’ont-ils pas pris de vrais “jifs” à la Popeck pour tourner çà ? Les Pierre Richard en Mangeclous et les Blier en Saltiel sont fort peut crédibles… c’est lamentable et poussif, jamais pittoresque : de la sous-série “Bé”.  Pouah ! Ce n’est pas un film qui fait honneur à l’œuvre de Cohen.

Bon, ceci dit, tout n’est pas perdu car par un hasard qui pourrait prouver que dieu exisse, j’ai gardé Les Valeureux sous le coude et là je sais que je vais renouer avec l’Albert que j’aime, avec la tribu des jifs disjonctés de Céphalonie ; chers Saltiel, Mickael, Mangeclous et Mattathias, vostre dieu m’en est témoin,  je vous aime...


Popeck Solal






Je vous demande de croire qu’on n’est pas des sauvages, tout de même !...

dimanche 18 août 2013

Siddhartha, Hermann Hesse

Alors non, ce n’est pas l’histoire du bouddha, et de loin.
C’est un conte philosophique où la misérable crapule que tu es apprendra que la sagesse n’est pas le savoir, qu’elle ne peut s'enseigner, qu’elle s’acquiert par une démarche personnelle et qu’il vaut mieux écouter les bruits de la rivière que les discours d’un maître, si grand et estimable soit-il.
Tu découvriras donc cette vérité en assistant à la vie et au destin singulier de ce Siddhartha.
C’est le fils d’un Brahamane réputé qui tourne le dos à la vie confortable, sinon glorieuse, qui s’offrait à lui et part sur les chemins avec son pote Govinda. C’est un Samana (en fait c’est les romanichels de l’époque).
Quelques années plus tard, ils croisent le chemin de Gotama (le vrai bouddha) et Govinda se sépare de Siddhartha pour suivre les enseignements du "pépère doré". Déjà ça te situe dans le temps car Sa sérénité a vécu cinq ou six siècles avant Jésus-Christophe, 'fin, je crois... Quoi qu’il en soit et dès lors, notre bon Sidounet brise son ascèse et entame une vie de patachon : amour, gloire et beauté.
Le temps passe et il devient un riche notable avec tous les colifichets afférents à son nouveau statut :
X6 toutes options, chaînes de super-marchés, entregent certain au sein du conseil régional, putes russes, coke et rock&roll... la totale, disons.

Puis, ch'ais pas bien s’il lit les bouquins d’Alexandre Jollien ou quoi, mais nouvelle mutation du lascar ! Il plaque tout à nouveau, les dollars, sa gonzesse, la dope... tout quoi, et devient apprentis sur le ferry qui fait traverser le fleuve local.
Et là, c’est la révélation : le fleuve parle à son coeur, à son âme et il comprend que le temps n’existe pas, seule la vibration du OM a de l’importance...

Le Siddhartha d’Hermann Hesse rejette toutes doctrines, y compris celle du vrai bouddha.
Tout parle de nous, farang-mon-copain, tout nous interpelle dans ce petit conte initiatique qui, je le répète n’est pas une exégèse du bouddhisme “conventionnel” car la morale que j’en intuite est celle-ci :
Prends le temps de te connaître toi-même et trace ta propre route mon gars !
Et au bout du bout, j'en conclus qu'il faut prendre le risque de se tromper... c'est l'anti-pari de Pascal çà, non?

Hermann n’est pas mon pote, c’est d’ailleurs pour cela que je l’appelle mon pote...


Maurice Biraud prêchant dans le désert

Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche.
(Un taxi pour Tobrouk, Audiard, ceci-cela)