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samedi 7 juin 2014

Anima, Wajdi Mouawad

Pfiiiouuu… 

Ben mon vieux gars, je ressors de ce livre tremblant et misérable ; totalement essoré !

Un choc cet Anima.

Première forte impression : la forme.
T’as beau être averti, avoir bien écouté le prêche de l’ami T. R. (R. like a river), tu es d’emblée installé en spectateur, et quel(s) spectateur(s), dans le corps de nos amis les bêtes ; tu écoutes des vibrations, tu palpes des textures, tu zieutes multi-facettes, tu piques dans des chairs molles et grasses, tu ronronnes, tu urines, tu mords, tu voles, tu meurs, mais tu es toujours le témoin privilégié. Oncques ne lut jamais pareille construction ! Quelle virtuosité, quelle fluidité, tu passes de la subjectivité aquatique d’un poisson rouge dans son bocal à celle, altimétrique, d’un balbuzard sillonnant le ciel, mais tu gravites toujours autour de la scène principale. 
Ça donne des séquences de ce genre :

...
Mus Musculus
Son pas en aplat sur la surface grillagée de la bouche d’égout, sous laquelle je niche avec ma progéniture, je l’ai vu passer en contre-jour de mon ciel, courant comme un fou dans son souffle ahané.

Vespula Germanica
Il courait à travers le mouvement des voitures, paraissant disparaissant, jusqu’à l’angle arrondi d’un trottoir où il a bifurqué, avalé par le halo gazeux de la circulation matinale.

Larus ridibundus
Rouge parmi les humains, visible depuis les nuages, il courait, d’une rue à l’autre, d’un boulevard à l’autre, coupant par les ruelles et les jardins, si petit vu du ciel, si lent vu de là-haut, dans l’urgence de faire battre son coeur vers l’avant, plus vite toujours, plus loin toujours.

Tegenaria domestica
Mary ! Mary ! Mary ! Ouvrez ! Ouvrez !!! Mary ! Mary ! Les vibrations faisaient trembler les fils de ma toile. Je me suis avancée le long du plafond [...].

Voila, tu vois ? Rythme et subjectivités multiples dans ce polar infernal.

Au fait, t’avais-je avisé qu’il s’agissait d’un polar ?
Atroce et extrêmement glauque : un crime abominable commis sur Mlle Léonie F. par le métèque Mohawks Welson Wolf Rooney qui a oublié de téter le calumet de la paix, tandis que le petit copain d’icelle,  Wahhch Debch, lui court après. Voila pour le prétexte de ce road-movie échevelé.

Au fait, t’avais-je averti qu’il s’agissait d’un road-movie ?
Tu chemineras depuis la réserve indienne de Kahnawake, Canada, pour aller te perdre dans les fins fonds torrides des zamériques. Pick-up, fuite à pied, forêts, wagons de marchandises, désert, marécage, autoroute, motels ; un voyage à la Jack London dans l’Amérique profonde…
On the road again, en plein, pour l’ambiance qui règne dans cet essai philosophique.

Au fait, t’avais-je prévenu qu’il s’agissait d’un essai philosophique sur le mal, ou, du moins, sur les origines du mal ?
La violence, tant physique que morale, qui irrigue tous les domaines du vol de ce livre est cependant finement pilotée par l’ami Wajdi Mouawad. Il s’agit d’un voyage à rebours vers les origines du mal, car le mal à toujours besoin d’être incarné, d’avoir un visage, un lieu et un moment ; il lui faut une identité… C’est donc un véritable voyage à rebrousse-temps, passant par les terribles journées du 16, 17 et 18 septembre 1982, dans les camps de Sabra et Chatila, qui s’effectue en arrière-plan de l’esthétique formelle de l’intrigue. Là, le cône du mal trouve sa focale, et la violence un prétexte. Il en émane un “je ne sais quoi” de déterminisme bien plus gênant que le spectacle convenu de la violence.
Brèfe, un livre monde, superbe et monstrueux, dont le fond s’articule autour de l'intangibilité du mal, de la violence qui habite les hommes, et de la fragilité du concept d’identité.
Franchement, il ne déparera pas dans tes étagères entre un Hannah Arendt et un Camus…

Ami Wajdi Mouawad, je ne te connais pas, mais je sais désormais ton tourment.


Une dernière chose, chère lectrice de navarre et picardie, je vais t’éviter vachement de i-peine et te délivrer le bestiaire vernaculaire des futures subjectivités qui t’attendent si un jour tu t’installes dans cette arche de Noé peu ordinaire.
(par ordre d'apparition)

Felis sylvestris catus carthusianorum (chat)

Passer domesticus (moineau)

Canis lupus familiaris inauratus investigator (chien)

Columbia livia (pigeon)

Carassius auratus captut leonis( poisson)

Corvus corax (corbeau)

Serinus canaria (canari)

Sciurus carolinensis (écureuil)

Rattus norvegicus (rat)

Larus delawarensis et argentatus (goélands multiples zé variés)

Lasius niger (fourmi)

Canis lupus familiaris (chien)

Mephitis mephitis (mouffette)

Tegenaria domestica (Araignée)

Vulpes vulpes (renard)

Canis lupus familiaris terra americana staffordshire (clébard)

Felis sylvestris catus (minou, minou…)

Boa constrictor (ok, ok…)

Orytctolagus cuniculus (t’as cru que c’était séxuel, hein ? avoue ! ben, non, c’est juste un lapin)

Musca domestica (une putain de mouche)

Mus musculus (souris, la grise)

Vespula germanica (la guêpe… aïeuu !)

Larus ridibundus (mouette, ha, ha, ha...)

Pan troglodytes (Cheetah ungawa… Daktariiii...)

Strix varia (chouette)

Coccinella septempunctata (une costinelle, quoi, comme dans Minuscule)

Papilio polyxenes asterius (papillon)

Procyon Lotor (raton laveur)

Canis latrans (coyotte)

Sus scrofa domesticus (porc)

Equus mulus & asinus & Caballus(mulet & âne & chevaux)

Regulus satrapa (roitelet)

Calliphora vomitoria (mouche bleu)

Grus canadensis (grue)

Lasionycteris noctivagans (chauve-souris)

Oncorhynchus mykiss (truite)

Apis mellifera (maya l’abeille)

Pandion haliaetus carolinensis (balbuzard)

Periplaneta americana (blatte yankee)

Danaus plexippus (papillon)

Aedes stegomyia aegypti (moustique)

Tegenaria duellica (araignée, un grosse)

Narceus americanus (mille et une pattes)

Ardea cinerea (héron)

Marmota Monax (devine ! la marmotte)

Diadophis punctatus (couleuvre)

Libellula quadrimaculata (libellule)

Ursus americanus (nounours)

Lampyris noctiluca (ver luisant)


Pfiioouuu... 
Sans dec, c'est énorme ; je vais rendre le bouquin à Titi, mais il est déjà commandé.
Sur mon bureau dans quelques hecto-secondes... À vous le soin.


Corvus corax




je vous demande de croasser...

5 commentaires:

  1. justee énorme ton commentaire

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  2. Merci !! Vous me faites gagner un temps précieux !! Je commence et je me régale déjà ! Après Incendies, un autre chef-d'oeuvre !!!

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    1. Merci à toi, Tatam.
      Attention cependant... Miaou, pfffft... une âme charitable m'a signalé une erreur dans la chronologique, mais "bête" comme je suis, je ne m'en souviens plus, bzzz... bzzz... et j'ai un peu la flemme d'éplucher à nouveau le bouquin pour la corriger... Crôaa... Crôaaa !
      Cela dit, comme je regrette de n'avoir pas vu "Incendies" ! Haouuu... Haouuuuu...
      Bien à toi.
      F@P

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  3. Grâce a ton commentaire enthousiaste et tes explications j'ai repris ce bouquin qui m'était un peu tombé des mains. J'ai maintenant un fil conducteur. Merci

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  4. Merci d'avoir traduit les titres des chapitres : beaucoup de temps gagné ;) je vais me plonger dans la lecture d'Anima...

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