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dimanche 31 janvier 2016

La Recherche, debriefing



Hé oui, je suis obligé de formaliser un point final à la Recherche, une sorte de debriefing, disons.
Pourquoi ? 
Parce que lire la Recherche m’a fait tourner la tête, et mon manège à moi fut Proust, pendant plus de deux mois ! Une came qui m’avait pourtant rendu malade lors des deux premières piquouzes et qui, curieusement, a réussi à me rendre accro à la troisième tentative, vingt piges plus tard. Tu reconnaîtras là, farang-héroïnomane, la facture de toutes bonnes dopes qui se respectent. T’es malade comme un chien la première fois, mais si tu insistes, te voila piégé dans l’infernalitude d’une drogue, ‘tain !

Tu auras aussi noté que je n’ai pas cessé de m'infliger du Proust brusquement, dès la dernière page du “Le Temps retrouvé” refermée, non, j’ai pris le soin de me sevrer gentiment, avec des prises régulières de sa biographie, qui fut pour le coup ma méthadone, mon subutex. Et pourtant, cette énorme biographie terminée - dans l’urgence du manque je n’en ai pas trouvé de plus grasse - je continue à chercher, à farfouiller et à zieuter comme un fou… Tiens, mate ma dernière trouvaille : “Ça”. La BNF a numérisé un paquet des fameux cahiers du maître, c’est une véritable merveille, ça renvoie tous les traitements de texte au panier ; ouais quand tu vois la façon dont ils sont gribouillés ces cahiers, si tu essayes de déchiffrer ce merdier indescriptible à base d’encre et de papier, tu comprendras que je me suis trouvé une nouvelle occupation, et surtout que je ne suis pas prêt à décrocher...

Lire Proust c’est un peu comme regarder pour la première fois les anneaux de Saturne (ou M31), dans un télescope bien réglé, ou encore c’est s’abîmer dans le Lacrimosa de Zbigniew Preisner ; ce sont des expériences qui changent l’homme qui s’y prête !

Lire la Recherche c’est donc explorer les tréfonds de l’individu pour aller chercher les grandes explications des phénomènes sociaux généraux, et ce n’est pas moi qui le dit mais c’est le maître  :
«Les niais s’imaginent que les grosses dimensions des phénomènes sociaux sont une excellente occasion de pénétrer plus avant dans l’âme humaine ; ils devraient au contraire comprendre que c’est en descendant en profondeur dans une individualité qu’ils auraient chance de comprendre ces phénomènes.»
(Le Côté de Guermantes II)

En fait, et pour filer l’anachronisme, l’écriture de Proust c’est l’anti-twitter absolu ; c’est se vautrer dans une chose lente, datée, circulaire et lancinante ; c’est s’autoriser un long voyage dans la multiplicité des temps d’horloge de l’esprit, dans cette confusion des moments qui font la houle de nos “êtres” ; c’est explorer à nouveaux nos paradis perdus en se donnant le temps de réapprendre à lire l’oeuvre d’une vie, que ce soit celle de l’auteur ou de son lecteur… 
Qui peut écrire après cela ?

Quoi qu’il en soit, je ne me pose plus la question de savoir ce que j’embarquerais sur une île déserte ou pour un voyage sur Mars : le coffret folio de la Recherche, ne serait-ce que pour les huit cathédrales de Rouen de Monet qui pavoisent chaque tome en première de couverture ; on peut passer des heures dessus...

Merci et a te relire ami Proust !

©Monet

vendredi 29 janvier 2016

Marcel Proust II, Jean-Yves Tadié

Biographie (encore)

Voila, farang-uraniste, suite et fin de la biographie de l’ami Proust.

La période va de 1906 à 1922, date de la mort du maître. C’est aussi, à peu de choses près, le temps qu’il va mettre pour accoucher de la Recherche et, bien que techniquement l’écriture ne lui ait pris «que» quatorze ans, comment ne pas inclure les étés 1907 et 1908 à Cabourg dans sa genèse ? Il remplissait déjà ses fameux cahiers de tout le matériau qu’il allait bientôt utiliser. 
En 1909 un premier gros roman est déjà bouclé. En 1911 il a doublé et Proust dispose désormais d’une version de «Combray», d’«Un amour de Swann», etc. Mieux, il a déjà écrit de nombreuses pages de «Le Temps retrouvé», le dernier tome de la Recherche ! En fait, ce vaste roman ne va cesser de grossir et d’évoluer jusqu’à la veille de sa mort. 
Et que de difficultés à trouver un éditeur pour la parution du premier tome, «Du Côté de chez Swann», chez Grasset (à compte d’auteur) en 1913. La guerre stoppera l’édition mais n’arrêtera pas le processus de fabrication et elle aussi fera partie de la fresque.
1919 parution du deuxième opus : «À l’ombre des jeunes filles en fleurs», chez Gallimard (NRF), qui avait pourtant refusé d’éditer le premier. Prix Goncourt dans la foulée… 
Et tout s’enchaîne, s’accélère, le Marcel est pressé, il sent, il sait que la Camarde est à ses trousses, et il entre dans un très long contre-la-montre ; il continue d’écrire, de corriger, sur-corriger, d’ajouter (ses fameuses paperolles), de retrancher (il a fait disparaître plus de deux cents pages dans  «Albertine» ! ), il déménage, deux fois (lui qui détestait ne serait-ce que changer de chambre pour dormir ! ), il continue de sortir dans le “monde”, à batailler avec ses éditeurs, et à encore écrire jusqu’à en mourir, exténué, drogué, malade, usé et finalement dévoré corps et âme par son Oeuvre.
1921-1922, sortie de «Sodome et Gomorrhe» en deux tomes... et il meurt.
Heureusement il a laissé des instructions très précises à son éditeur pour les deux derniers volumes qu'il reste à faire paraître, «Albertine disparue» et «Le Temps retrouvé» ; ils sortiront après sa mort, certes moins corrigés que les précédents, disent les aficionados et ses biographes, mais franchement, je n’ai pas bien senti la différence quand je les lisais...
Remarque, c’est bien à savoir, soit sûre que je vais vachement faire gaffe dès que je remettrais le nez dans la Recherche. Hein ? Oui, je veux la relire, car maintenant, grâce à Dieu et à Jean-Yves Tadié, je sais le pourquoi du comment et la prochaine fois va être différente, plus profonde, plus avertie, et peut-être encore meilleure.

Donc, merci à l’ami Jean-Yves Tadié pour tout ce temps perdu et puis retrouvé.


Cahier XX, dernière page de
«Le Temps retrouvé»





Comment faisait-on avant le traitement de texte ?...

lundi 25 janvier 2016

Marcel Proust I, Jean-Yves Tadié

Biographie

Encore une fois, farang-barrésien, quand un écrivain, ou un phisolophe, ou un Premier consul - même s’il est corse -, ou une aviatrise, un acteur, un homme (ou femme) politique, un journaliste... bref, quand une figure remarquable, salaud ou héros, t'intéresse vraiment, tu es bien obligé de lire sa biographie, sinon comment ferais-tu pour savoir ?
Et ouais, figure-toi qu’un paquet d’«intouchables» risquent de dégringoler de leur piédestal une fois que tu sauras les pitoyables personnages qu’ils sont ou qu’ils furent à la ville.

N’aie nonobstant aucune crainte avec l’ami Marcel, sa vie est éminemment conforme à celle du narrateur de la Recherche, on n’est pas dépaysé. 
Le camarade Jean-Yves Tadié a fait un énorme travail ; et si on ne parlait pas de Proust, je dirais que «c’est pas de la bio de tafiole, ça, madame ! », c’est à la hauteur du personnage et de son Grand-Oeuvre. Ce premier opus titre plus de huit cents pages tandis que le tome II n’en fera que cinq cents... On n'est plus à ça près, hein ?

Donc, dans cette première partie de la biographie, on piste Marcel presque au jour le jour de 1871 à 1906, date à laquelle il commencera à écrire sérieusement la Recherche dans ses célèbres cahiers.
  
L’enfance, les sacro-saints baisers de la mère avant de dormir, les vacances chez la tante, les crises d’asthme, la mort de la grand-mère, les amis, l'amour et ses jalousies, le parisianisme snobinard, la mer, le voyage à Venise dans les traces de Ruskin, etc.
Bref, toute la Recherche, mais pas dans l’ordre, et avec des personnages qui ont changé de nom, voire de genre, mais y a pas : Proust c’est le narrateur, comme Alphredo Agostinelli, son secrétaire, deviendra Albertine dans la Recherche, ou encore qu’il y ait un peu de Robert de Montesquiou, entre autres ingrédients, dans la folle vie du Baron de Charlus...
Les exemples peuvent se décliner à l’infini et ainsi, le remarquable travail de l’ami Jean-Yves Tadié finit par encrer le narrateur dans la vie de Proust.

La collecte et ensuite la facture impeccable de cette somme de détails, de dates, de personnages et d’évènements sont à la hauteur de leur formidable sujet.

Cela dit, et à l’instar du gigantisme formel de la Recherche, cette biographie m’en a donné souvent plus que nécessaire sur une foultitude de détails dont je ne soupçonnais pas l'existence avant de les lire ! Je ne suis, par exemple, pas encore mûr pour les ruskiniennes dentelles gothiques de «La Bible d’AmiensW»… tant pis, ce sera pour l’instant sans moi !

Je n’oublierai cependant pas de remercier l’ami Tadié pour cette magnifique et kolossale première partie de la vie du Grand Marcel : bravo et merci.

Next.






Marcello... Argh...

dimanche 17 janvier 2016

Le temps retrouvé, Proust

À la recherche du temps perdu VII

Le temps a filé depuis «Du côté de chez Swann», de l’adolescent souffreteux à Combray, chez tante Léonie, aux premiers émois du jeune homme quand il draguait à l’ombre des jeunes filles fleuries, à Balbec, jusqu’à ses turpitudes fessières avec Albertine et les crises de jalousie afférentes, en passant rapidement sur un long séjour en maison de santé, il s’en est passé des choses, et, mine de rien, le vieux siècle a basculé tandis que le nouveau s’avançait à grands pas, si bien que nous voila arrivés à la Grande Guerre.
C’est à ce moment là que le narrateur revient à Paris.
Saint-Loup bataille vaillamment sur le front quand il ne vient pas s’encanailler dans la garçonnière du baron de Charlus, lui-même toujours la proie de ses vieux démons malgré l’âge. Ce brave couillon va même réussir à ce faire tuer avant la fin de la guerre, te dire jusqu’où il poussera le patriotisme ! Quant à ce bon baron de Charlus, il vieillit mal et cède désormais à ses pires pulsions masochistes qui le laissent attaché sur un lit et fouetté d’abondance par quelques sbires de basse extraction loués pour l’occasion. Brrr....

Nonobstant la guerre, la vie parisienne des aristos, des grandes bourgeoises et des planqués de toutes obédiences n’en continue pas moins à sévir, malgré les Gothas ou autres zeppelins. Les «mercredis» et les «soirées-musicales» ont quelque peu changé de style - à la guerre comme à la guerre - mais on y croise toujours les mêmes badernes emperlousées.

Puis le narrateur s’éloignera encore une fois de Paris pour raisons de santé. Quand il revient à la capitale, de nombreuses années plus tard, il se rend à une réception du prince de Guermantes. Et là, sur le trajet, en trébuchant sur un pavé mal damé, il a un flash, une réminiscence quasi onirique qui lui rappelle son voyage à Venise, une résurgence du passé qui tout à coup reprend corps, comme lors de l’épisode de la madeleine de tante Léonie, et tout cela, brusquement fait sens, il faut retrouver le passé et rendre compte, retranscrire le plus exactement possible les détails de toute une vie, l’histoire de tous ces personnages que nous croisons depuis le début de la Recherche. L’écrire pour soi, pour les autres. Bref, ça dure des pages et c’est à ce moment là, dans une sorte de boucle anenthropique, un retour vers le futur, disons, que Proust décide que le narrateur écrira la Recherche. C’est le point de départ de tout ce que nous venons de lire, tout s’explique et se justifie.
Au cours de cette «matinée-musicale», il retrouve nombre d’anciennes connaissances que souvent il ne reconnaîtra pas tant elles ont changé. Il prend conscience que les mécanismes de la mémoire qu’il déploie, ne serait-ce que pour poser un nom sur un visage et qui lui permettent d'enjamber le temps, seront le moteur de sa future oeuvre d’écrivain. Hélas, sa santé est déclinante, lui aussi à beaucoup vieilli, il subit une première alerte, perd momentanément la mémoire ; aura-t-il la force et le temps de terminer ce vaste projet ?

Personnellement, je ne me pose plus la question ; il a eu le temps !

Voila mes cadets, j’y suis arrivé cette fois, j’ai réussi à au moins survoler la Recherche !
Et, pour que tu goûtes toi aussi à la magnificence de ce vin lourd et pourtant subtil qu’est le style du maître, partageons la dernière coupe de ce cru fastueux qui arrosa les deux mille quarante-huit pages de cet extravagant  banquet.
(Avertissement au lecteur novice qui n’aurait jamais nagé dans du Proust : appréhende les phrases de façon holistique, dans leur globalité, glisse et vois venir entre ses innombrables ponctuations ; le motif d’un accord ou le sujet d’un verbe à la conjugaison à priori choquante peut être après la prochaine virgule… où celle d’après… ou encore celle d’avant.  
Respire la tête hors de l’eau et ne t’arrête pas.)

Voici donc la dernière page de la Recherche… le temps, la vieillesse, la mémoire et le sentiment de notre propre finitude ; une pure merveille.

...
J’éprouvais un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait, sans une interruption, été vécu, pensé, sécrété par moi, qu’il était ma vie, qu’il était moi-même, mais encore que j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer comme je le pouvais avec lui. La date à laquelle j’entendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray, si distant et pourtant intérieur, était un point de repère dans cette dimension énorme que je ne me savais pas avoir. J’avais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant, comme si j’avais des lieues de hauteur, tant d’années.
Je venais de comprendre pourquoi le duc de Guermantes, dont j’avais admiré en le regardant assis sur une chaise, combien il avait peu vieilli bien qu’il eût tellement plus d’années que moi au-dessous de lui, dès qu’il s’était levé et avait voulu se tenir debout, avait vacillé sur des jambes flageolantes comme celles de ces vieux archevêques sur lesquels il n’y a de solide que leur croix métallique et vers lesquels s’empressent des jeunes séminaristes gaillards, et ne s’était avancé qu’en tremblant comme une feuille, sur le sommet peu praticable de quatre-vingt-trois années, comme si les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses, grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers, finissant par leur rendre la marche difficile et périlleuses, et d’où tout d’un coup ils tombaient. (Était-ce pour cela que la figure des hommes d’un certain âge était, aux yeux du plus ignorant, si impossible à confondre avec celle d’un jeune homme et n’apparaissait qu’à travers le sérieux d’une espèce de nuage ?) Je m’effrayais que les miennes fussent déjà si hautes sous mes pas, il ne me semblait pas que j’aurais encore la force de maintenir longtemps attaché à moi ce passé qui descendait déjà si loin. Aussi, si elle m’était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d’abord d’y écrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps.

FIN

Ça calme, non ?
Peuchère, c’est simplement giganteste !

©Sipa


 Merci ami Marcel...

lundi 11 janvier 2016

Albertine disparue, Proust

À la recherche du temps perdu VI

Or donc, cette chère Albertine s’est cassée en Touraine chez sa tante, Mme de Bontemps, à la fin du tome précédent. Il devrait être content l’autre zèbre de narrateur te diras-tu innocemment, farang-anuptaphobique, de s’être débarrassé de la donzelle puisque ne l’aimant plus il était à deux doigts de la lourder. Ben, non ! Le voila qui se met dans tous ses états pour la faire revenir, dis-donc ; il veut lui acheter un yacht, une Rolls ; il envoie son pote Saint-Loup tenter d’arranger le coup, là-bas dans la cambrousse tourangelle ; bref, il est encore sur le coup, on the road again !
Et là, paf ! Nouveau coup de théâtre : Albertine se tue dans une chute de cheval.
Je te laisse imaginer les affres que va traverser le narrateur. Si tu as la chance de ne pas encore avoir bien compris ce que représente la mort d’un être cher, voire très cher, je te conseille alors la poignée de pages qui suivent ce dramatique événement. Plongée dans l’intimité et la folie du deuil… Et si tu crois que la mort de l’être aimé éteindra la jalousie qu’il suscitait de son vivant, alors tu te goures mon cadet car cézigue va encore continuer à enquêter sur les arcanes de la vie amoureuse d’Albertine en cuisinant, mine de rien, ses anciennes copines expertes es tribadisme, et ce qu’il découvrira ne va pas trop lui plaire...

Heureusement, et c’est un truisme de le formuler, le passage du temps vient à bout de tout, et ce diable va finalement rebondir en effectuant un voyage (depuis très longtemps reporté) à Venise avec sa mère. Encore une fois, si tu connais mal les innombrables teintes de l’eau de ses canaux, il ne te faut pas rater ce chapitre. Et entention, quand on bouge, chez ces gens là, on ne descend pas chez l’habitant, hein ? Oublie les auberges de jeunesse ou les tables d’hôtes. Non, on se paye les plus grands hôtels, et on dîne dans les gastos quatre étoiles ; m’est avis que ça facilite les convalescences de l’âme, mais j’arrête car je suis à deux doigts du jugement de valeur…

De retour à Paname il renoue curieusement avec Gilberte Swann, désormais Gilberte de Forcheville, car sa mère Odette a épousé un individu de ce nom après la mort de Swann. 
Ch’t’avais pas dis que Swann été mort ? Merde alors, je te présente toutes mes confuses ; cela dit, j’espère que tu ne t’attends pas à ce que je te résume un bouquin de la Recherche en une page. Non, il va falloir que tu fasses l’effort de surmonter tes propres échecs, car ne flippe pas, tout bon lecteur a eu les siens avec Proust ; faut pas faire le malin, hein ? C’est une question de «grâce» avec cézigue, ça te vient, ou non, et, aussi rare que le mouton à cinq pattes sont les âmes capables de goûter la Recherche dès la première piquouse ; personnellement je n’en connais pas.

Bref, Gilberte épouse Robert de Saint-Loup qui tourne pédé et va s’empresser de piquer le musicien Morel à la convoitise du Baron de Charlus…
Ah, putain, quel bordel cette histoire !


Allez, plus qu’un…

©Village People





 Chef de chantier Morel...

dimanche 3 janvier 2016

La Prisonnière, Proust

À la recherche du temps perdu V 

Quant à la jalousie, le maure de Venise était un petit rigolo comparé à ce grand couillon de narrateur. Non, farang-shakespearien, tu n’as jamais vu plus suspicieux, plus jaloux, plus con et méchant que ce bougre ; d’entrée, l’Albertine il la prend sévèrement en pogne, il la veut à sa botte ! Cela dit, il a raison de se faire du souci car tu te souviendras que la donzelle à des mœurs gomorrhéennes, comme il se plaît à les euphémiser, et un être plus grossier tel que toi, par exemple, dirait qu’elle est un peu gougnotte sur les bords, la Titine ; suffisamment d’indices parsemés depuis deux ou trois bouquins le laissent supposer sans doute possible.  
Évidemment, qu’elle soit une menteuse impénitente, rien n’est plus sûr, mais de là à régenter les moindres détails de sa vie et à la séquestrer, il y a un gouffre, une maladie mentale qui s’appelle la jalousie. Oui, c’est une maladie et dans ce premier chapitre de «La Prisonnière» l’ami Marcel en décrit tous les symptômes depuis le huis clos de son appartement parisien. C’est fascinant, édifiant et monstrueux.

Puis retour aux pince-fesses dans le salon des Verdurin, Quai Conti, où tu assisteras à la fracassante déchéance mondaine du baron de Charlus. Un spectacle d’une férocité rare où la petite coterie habituelle, aiguillonnée par l’animosité de Mme de Verdurin va déployer des trésors de fourberies et de méchancetés pour expulser cette pauvre vieille folle de Charlus.

On terminera ce récit sur un autre coup de théâtre : Albertine s’échappe sans tambours ni trompettes et laisse notre fragile Othello d’opérette le bec dans son caca… heu, dans sa jalousie.

On le savait déjà, mais dans cet opus le narrateur donne la pleine mesure de tous ses défauts les plus poignants : oisiveté, veulerie, lâcheté, jalousie, procrastination, préciosité ; la parfaite caricature d’un dandy vaguement neurasthénique et pété de thunes du début XXe.
Heureusement que Dieu existe, de temps en temps, et ce sale type s’avère être un des plus grands écrivains de son siècle ; ceci compensant cela.

Oui, je suis maintenant drôlement bien installé dans la Recherche, j’ai trouvé mon braquet et j’enroule à mon rythme ; je suis à l'aise ; je me régale. Cet ouvrage est tout simplement «énorme» !  Chuis à deux doigts de crier au chef-d’œuvre, te dire !
En fait, et d’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais vécu un truc pareil en lisant, même ma façon d’aborder le temps de la lecture a changé. Je ne lis plus de façon fortuite, dans l’entre-deux des inutilités bruyantes du quotidien, non, je me consacre vraiment à cette tâche, je me programme de larges plages où il ne faut plus venir me faire chier et durant lesquels j’ânonne, marmonne et fronce des sourcils en suivant presque les lignes du maître d'un index attentif ; il y a Proust et moi… je deviens étranger au réel, mono-maniaque et désagréable avec mon entourage. Peut-être même me faudra-t-il songer à un suivi psychologique, bientôt, quand il s'agira de se sevrer...

La Recherche ?
Un plaisir solitaire et exclusif, presque une mauvaise habitude.




Albertine assoupie...